Les origines du musette et son âge d'or jusqu'en 1950 sont au coeur d'un livre signé du musicien Dominique Cravic et du spécialiste de jazz Christian Van den Broeck. L'ouvrage a pour titre Les as du Musette: des Apaches aux Zazous, et il bénéfie également de certaines illustrations du célèbre auteur de BD américain Robert Crumb.
Avouons-le, la France entretient un rapport complexe avec « son » musette. Pourtant, cette musique constitue en quelque sorte le signe distinctif de notre pays à l’étranger : quand l’action d’une série américaine se déroule à Paris, ça ne manque jamais, dans la bande son, on entend les flonflons d’un accordéon. Comment alors s’étonner que lors de la cérémonie d’ouverture des J.O. 2024, le monde entier pourra écouter la réinterprétation d’une chanson d’Édith Piaf (qui a souvent été accompagnée par un accordéon sur les scènes de music-hall et a commencé comme chanteuse de musette)…
Le musette est l’un des grands styles musicaux nés au début du XXe siècle en milieu urbain, d’un métissage culturel dû à la rencontre à Paris de migrants venus d’horizons divers : bref, une histoire similaire à celle du jazz à La Nouvelle-Orléans, du tango à Buenos Aires, ou encore du rebétiko à Athènes. Oui, mais à la différence des trois précités, la France n’a pas l’air particulièrement fière de cette histoire… qu’elle ne connait d’ailleurs pas vraiment. En effet, jusqu’à aujourd’hui, celle-ci n’a quasiment jamais été écrite. Comme si, collectivement, les Français avaient un peu honte de leur musette, dont la richesse musicale de ses premières années est cachée derrière un monceau de clichés.
À qui la faute ? À la génération des « boomers », nés à partir des années 1940, qui dans leur jeunesse se sont pris de passion pour le rock’n’roll ou les « yéyés », et ont relégué la musique de leurs parents aux oubliettes ? À un certain snobisme des classes dirigeantes et du milieu culturel « officiel », cultivant un réel mépris pour les goûts artistiques des classes populaires ? Pourquoi pas aux accordéonistes musette eux-mêmes, ainsi que leurs maisons de disques, qui après la Seconde Guerre mondiale ont majoritairement proposé une musique de plus en plus commerciale et de moins en moins imaginative ? Même le milieu folk/trad, dès son apparition dans les années 1970, s’est montré critique d’un genre musical qui, entre-deux-guerres, avait progressivement concurrencé puis remplacé dans nos campagnes les musiques de tradition orale plus anciennes : plus d’un collecteur s’est agacé quand un violoneux ou un accordéoniste diatonique « traditionnel » interprétait devant son magnétophone à bandes une énième version de « La valse brune » ou de « Sous les ponts de Paris », au lieu des antiques bourrées attendues.
L’ouvrage débute par un long historique du style musette, de sa « préhistoire » (toute fin du XIXe siècle) à la fin des années 1940, la période du « swing musette » mêlant jazz et accordéon étant la dernière abordée par les auteurs : ainsi, les grands noms de l’accordéon commercial des années 1950 tels qu’Yvette Horner ou André Verchuren n’apparaissent pas.
On ne fera ici que résumer cette histoire dans les grandes lignes (pour le détail, se référer au livre !) : l’arrivée progressive, au début du XXe siècle, d’immigrés italiens se mettant à jouer de l’accordéon diatonique dans les bals des Auvergnats de Paris, alors traditionnellement animés à la « musette » (cornemuse), ce qui mènera au remplacement de ce dernier instrument par le nouvel arrivant (rapidement délaissé à son tour pour l’accordéon chromatique)… sans que le nom « bal musette »disparaisse pour autant (on n’y entend pourtant plus la musette); la présence d’autres communautés dans ce creuset, notamment les Manouches et quelques Espagnols, qui accompagnent l’accordéon avec leur banjo (instrument d’origine afro-américaine !) dans les bals musette de l’après 1918 (on sait que c’est de cette manière que le jeune Django Reinhardt a commencé sa carrière de musicien professionnel dans les années 1920)… bref, il a fallu un sacré melting-pot pour donner naissance à un genre musical à l’image aujourd’hui si « franchouillarde » !
Le chapitre historique est suivi d’une passionnante galerie de portraits, dans l’ordre alphabétique, des principaux acteurs et actrices de la scène musette des années 1900-1948. Certaines biographies sont plus étoffées que d’autres, les deux co-auteurs ayant pu rencontrer les artistes concernés ou leurs descendants (voir les intéressants entretiens réalisés par Dominique Cravic auprès de Gigetto Costoncelli, Roger Chaput ou encore du fils de Marceau Verschueren, et restranscrits dans leur intégralité). En ce qui concerne Guerino (1895-1952), la famille du compositeur de la célèbre « Brise napolitaine » a confié de nombreux souvenirs et documents (dont la photo ci-dessus). Cette série de biographies permet de redécouvrir certains personnages complètement oubliés de nos jours et qui furent en leur temps d’énormes vedettes du disque. Outre Émile Vacher, Maurice Alexander ou encore Jean Vaissade, on pense notamment à Frédo Gardoni (1902-1976), inlassable animateur des Six Jours de Paris cyclistes ou de la caravane du Tour de France avant guerre, et qui enregistra à tour de bras pour la firme Pathé aux côtés du banjoiste Manuel Puig (1877-1942).
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